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La culture du mûrier arborescent pour ses fruits en Bretagne

La culture du mûrier arborescent : Morus alba et ses hybrides pour ses fruits en Bretagne et dans les régions littorales du nord de la France.

Variété Loud Georgeous

Le mûrier blanc (Morus alba.) est bien trop méconnu dans notre région alors que c’est un arbre aux multiples usages avec un potentiel incroyable. Je compte le produire en plus en plus à la pépinière et j’ai décidé d’en parler un peu afin de le faire connaître.

Tout d’abord évacuons une première confusion. Les mûriers arborescents appartenant au genre Morus ne doivent pas être confondus avec le mûrier-ronce (Rubus fructicosus). Le mûrier blanc est arbre à feuillage caduque de la famille des Moracées. En français on utilise le mot mûrier pour désigner les deux espèces qui sont pourtant très différentes alors qu’en langue anglaise on distingue mulberry (le mûrier) et la blackberry (la ronce).

Le mûrier blanc (Morus alba) est l’espèce la plus répandue de mûrier arborescent. Il est présent presque partout dans le monde. Originaire de Chine il est cultivé depuis l’Antiquité pour la sériciculture (l’élevage de vers à soie) , le fourrage des animaux et ses fruits.

Arrivé en Provence au XIIIème siècle, le mûrier se fera surtout connaître des français sous l’impulsion d’Henri IV qui imposera des plantations dans toutes les communes du royaume afin d’en finir avec l’importation de soie. Certaines régions pauvres comme les Cévennes vont se spécialiser dans cette production qui permettra de développer une filière française et la diffusion par la suite de l’espèce (source historique passionnante : https://www.museedelasoie-cevennes.com/savoir.html).

Je n’ai pas trouvé de sources historiques sur la production et consommation de baies de mûrier arborescent en France.

Le terme alba (blanc) vient de la couleur des bourgeons au moment du débourrement. Rien à voir avec la couleur des fruits. Les fruits de type glomérules sont noirs, roses, blanc pâle, blanc violacées, de forme plus ou moins allongée et de calibres variés. Le mûrier n’est pas exigeant sur la qualité des sols. Il poussera dans les terrains humides, secs, humifères ou pauvres, sableux ou argileux. C’est l’espèce fruitière la plus adaptable que je connaisse. Il n’y a pas à se soucier de la pollinisation car la plupart des variétés fruitières portent uniquement des fleurs femelles parthénocarpiques.1

Les Morus alba s’hybrides facilement avec d’autres espèces comme Morus rubra (origine Amérique du nord) et Morus macroura (origine asiatique). Ces hybrides sont très intéressants et apportent des caractéristiques supplémentaires comme la résistance au chancre (M. rubra) ou une augmentation du calibre des fruits (M. macroura).

Morus nigra, le mûrier noir est une espèce différente qui ne s’hybride pas directement avec M. alba. Ce mûrier très particulier porte de gros bourgeons noirs. Il est très souvent confondu avec le Morus alba à fruits noirs qui lui est beaucoup plus répandu. Le Morus nigra est très peu performant dans les régions océaniques et très sensible au chancre.

La fructification du mûrier blanc et de ses hybrides se fait sur la pousse de l’année en cours. On peut récolter les baies de fin mai à juillet selon les variétés et les conditions climatiques. Ce type de fructification lui permet d’être taillé sévèrement tous les ans et de le conduire de plein de manières différentes : trogne, cépée, palissé en cordon horizontale, forme libre etc.

Le débourrement peut être extrêmement précoce chez certaines variété. Dès décembre pour certaines variétés apparentés à l’espèce macroura ou certains hybrides complexes. Ils n’auront un intérêt qu’en bord de mer ou dans les micro-climat. Cependant ce n’est pas une règle générale. Les variétés comme Lavandel, Fedor ou les hybrides alba x rubra ont un débourrement plus tardif en mars. Cela leur confère une meilleure résistance au gel tardif. En cas de dégât de gel sur les jeunes bourgeons, de nouveaux bourgeons axillaires sont présents pour assurer la poursuite du développement de l’arbre.

La difficulté principale de la culture de mûrier en Bretagne est la maladie du chancre. Le taux d’humidité élevé est favorable à l’apparition de cette maladie en automne qui se caractérise par des zones de nécroses noires qui fendent le rameau dans le sens de la longueur. La seule réponse efficace consiste à éliminer par la taille les parties atteintes avec une bonne marge de bois sain. La désinfection des outils est indispensable. Les Jardins de Beauchêne sont situés au Minihic-sur-Rance, à 800m du rivage donc une zone de forte hygrométrie. C’est donc un lieu idéal pour l’évaluation des différentes variétés face au chancre. J’ai planté un peu plus d’une quarantaines de variétés venant du sud de la France, d’Italie, de plusieurs pays d’Europe de l’Est, des États-Unis, d’Asie centrale, d’Asie du Sud-Est et du Moyen Orient. Certaines sont beaucoup plus touchées par le chancre que d’autres.

Les hybrides alba x rubra d’origine américaine que j’ai testé semblent clairement résistants au chancre. On peut citer les variétés Wellington, Ilinois Everbearing, Hicks Everbearing et David Smith Everbearing. Il y a également des variétés qui sont tolérante le chancre. C’est à dire que le chancre les infecte localement et ne s’étend pas. Certaines lésions peuvent s’arrêter de croître et le bois de l’année suivante va les recouvrir intégralement sans que cela semble préjudiciable pour la suite de la vie de l’arbre.

Pour les variétés sensibles, le chancre atteint le bois d’1 an tous les ans et il faut couper les parties atteintes lors de la taille d’hiver. Le bois de 2 ans est rarement touché si bien qu’on peut maintenir en production des arbres porteurs du chancre sans que cela nuise beaucoup à la production.

Les arbres implantés depuis plusieurs années semblent beaucoup plus résistants que les arbres en première année de pousse. Les sols moins dynamiques sur le plan biologique semblent également majorer l’apparition du chancre sur les variétés sensibles. Cela suggère que les carences en nutriments et/ou les stress (asphyxie racinaire, sécheresse) constituent un facteur d’apparition de cette maladie.

Les limaces et escargots sont friands de mûrier. Surtout les petits plants proches du sol. Au printemps ils mangent les jeunes bourgeons et pousses. En automne leurs attaques sur les rameaux qui ne sont pas encore bien lignifiés va favoriser le chancre.

Concernant la multiplication le bouturage peut fonctionner avec certaines variétés comme Lebanese Heart. Pour les hybrides alba x rubra le taux de réussite au bouturage est très faible et le greffage sera le moyen le plus adapté. Les plants greffés peuvent être affranchis. J’ai l’impression que cela améliore le comportement des plants (croissance, calibre des fruits) même si cela demande à être confirmer dans les années futures. La greffes de printemps fonctionne bien. Je la pratique en avril en chip budding avec des greffons gardés au frigo à des températures suffisamment basses. Les greffes dormantes (écussonnage en T et chip budding d’été) me semblent moins performantes. Le greffage de segments de racines est également possible ce qui permet d’obtenir un plant qui sera rapidement affranchis2.

Un segment de racine greffé. Anglaise simple avec Buddy Tape.

La fructification précoce est l’un des gros avantages de l’espèce puisque la période autour de juin est assez pauvre en fruits. Il paraît qu’on peut détourner la prédation des oiseaux vers les mûres aux profits des cerises. À cette stratégie peut s’ajouter l’implantation d’amélanchiers dont les fruits arrivent également en juin. Avis aux concepteurs de jardins et vergers il y a la des possibilités de synergies à explorer.

Les mûres de couleurs blanches sont généralement sans acidité et très sucrées ce qui permet de les sécher. On en trouve couramment dans les magasins bio. Les variétés noires sont souvent un peu plus acidulées et extrêmement riches en antioxydants, en particuliers les anthocyanes qui sont indispensables pour la santé. Elles tâchent aussi les habits ou les surfaces sur lesquelles tombent les baies. Personnellement j’aime beaucoup Wellington et Chirtout qui ont un arôme de cerises et une texture agréablement granuleuse et Lavendel, variété très sucrée qui a des arômes de miel et de vanille.

Le calibre des fruits dépend des conditions climatiques. Un printemps sec durant le développement des fruits va nuire à leur calibre. Un début de printemps pluvieux sera donc favorable. Cependant si les conditions pluvieuses se maintiennent au moment du mûrissement les fruits risquent de se gorger d’eau et perdre tout intérêt gustatif. On retrouve un peu les mêmes exigences que pour le murissement des figues. Une période sèche durant le mûrissement va concentrer les saveurs et le sucre. Pour récolter on peut les cueillir facilement dans l’arbre, le pédoncule se détache sans forcer lorsque la baie est bonne à manger. On peut également tendre une toile sous l’arbre et secouer le tronc ou des branches pour faire tomber les baies. Bien qu’excellentes avec des goûts et arômes assez variés, les baies qui viennent d’être récoltées sont fragiles et ne se conservent pas longtemps. Cela explique qu’elles ne sont que rarement commercialisées fraîches. Elles peuvent par contre être utilisées en jus, smoothies, confitures ou pâtisseries. Dans plusieurs régions méditerranéennes et d’Eurasie on fait bouillir les baies pour obtenir un sirop épais appelé mélasse qui peut remplacer le sucre ou le miel.

La sélection variétale pour les fruits n’en est qu’à ses débuts. Le potentiel est considérable, surtout dans ce contexte de changement climatique qui nous oblige à trouver des espèces polyvalentes et adaptables. Cet arbre à déjà fait des miracles en apportant la prospérités aux paysans cévenoles durant la renaissance et j’ai l’intuition qu’il n’a pas fini de nous apporter ses bienfaits.

Pierre-Olivier Henry

  1. Parthénocarpie : Lorsque la fleur évolue vers la formation d’un fruit alors qu’il n’y a pas eu de fécondation. Les fruits issus de la parthénocarpie ne contiennent pas de graines. ↩︎
  2. Affranchissement : Lorsque le niveau du sol est au dessus du point de greffe. Progressivement les racines de la variétés greffée remplacent celles du porte-greffe pour assurer l’alimentation et le développement du jeune arbre. ↩︎